Les années 60 sont sensées avoir été l’apogée du rock. C’est, à peu prêt par tous, un fait généralement admis. Une époque à jamais révolue durant laquelle, avec un minimum de matériel et un maximum d’énergie, les joueurs de cette nouvelle tendance qu’on appelle le rock réinventent le rythm’n’blues et rivalisent de technique pour créer des morceaux qui ont changé à jamais l’histoire de la musique.
Que voilà une époque grandiose ! Il a fallu qu’il se crée tout un folklore autour de toute cette agitation qui veut que le bazar ait été tout un jardin à fleur, un paradis perdu où l’on retranscrivait en musique ses trips sous LSD, comme l’ont fait Hendrix, Jefferson Airplane (« feed your head ! ») ou les Beatles. Combien certains ne donneraient-ils pas pour avoir eu 18 ans en 1968 et connaître, tu sais, toute cette folie, loin de la technologie qui nous envahi et de la mondialisation d’aujourd’hui.
Sauf que chaque médaille à son revers. Les années 60-70 ont sans doute été une période d’effervescence musicale quasi-miraculeuse. Je veux bien admettre qu’elle constitue une source quasi-inépuisable d’émerveillement d’un point de vue musical, d’expérimentations, avec notamment l’arrivée du feedback, de la wah-wah et de la reverb, tout en gardant un son quasi-impossible à reproduire aujourd’hui sans l’aide du numérique. Les rétrospectives que l’on nous sert actuellement à l’occasion des 40 ans de mai 68 nous évoque cette époque mouvementée avec nostalgie. Mais nous avons eu la chance de ne pas connaître tout cela : un second printemps des peuples qui aura vu des révoltes et des mouvements contestataires fleurir dans le monde entier, à Prague comme à Tokyo, au Mexique, où des étudiants se font massacrer, ou encore en Pologne. Car nous n’avons pas eu à vivre la bêtise de la guerre froide, l’aberration de la guerre du Vietnam, les guerres de décolonisation dans leur ensemble, les deux crises pétrolières et, bien entendu, les désillusions de mai 68. Nous nous contentons d’en hériter. Car il y a eu un temps pour les idéaux, et il y a un temps pour le douloureux retour à la réalité. Très tôt déjà, alors qu’il reste encore des hippies en plein trip, mêmes les hallucinogènes n’ont plus toutes les faveurs : les Fe Fo Four Plus Two chantent « I Wanna Come Back (From The World of LSD) » et, après un bad trip, Mickey Newburry écrira « Just Dropped In », chanson dans laquelle il commence à retirer sa tête d’un sac dans lequel il a probablement vomi.
Nous sommes une génération qui n’a plus le luxe d’avoir des illusions, tout simplement parce qu’il ne servirait à rien d’en avoir. Essayer de croire en ses idéaux est trop dur, et l’on a trop à perdre à vouloir les appliquer, les confronter à la réalité. C’est ainsi que nous devenons passif, manipulable, et probablement plus idiots et incapables que n’importe quelle génération avant la notre. C’est sans doute pour cela, d’ailleurs, que l’on a si peu de mal à avaler à peut prêt tout ce qu’on nous sert, notamment en terme de soupe recyclée. Ces dernières années ont vu une montée du revival à l’ancienne, en remettant au goût du jour des modes assez disparates, par ailleurs. Et notamment dans le rock, où l’on ne peut plus compter le nombre de formations copiant la tenue, les instruments et les poses dans le style garage (le néo-psyché étant une valeur montante) desdites années 60.
Néanmoins, de tout cela on peut être un peu se consoler en se disant que nous avons cette chance de pouvoir accumuler tout ce qui a déjà été fait, des Creedence Clearwater Revival au dernier Ezechiel en passant par Madonna, et se mettre un petit Elephant Man juste après Amon Tobin, et Lofofora avant de changer pour Nick Drake.
Et bien sûr, échanger un Beatles contre un Ulan Bator.
L'album
Ulan Bator est un groupe profondément inscrit dans son époque. Il est impossible de l’imaginer pouvoir pu exister avant les années 90. Or, justement, nous sommes en 1993. Clément et Arnaud, qui jouent ensemble depuis maintenant 7 ans, ont bien un projet de groupe, mais il leur manque l’essentiel : la batterie. Ils la trouvent en la personne de Franck, avec qui s’ensuivront trois albums en trois ans qui devront asseoir une forte réputation au groupe ainsi formé et qui marqueront le rock français de son empreinte. On a là un noyau de disques durs après lesquels, d’après certains, plus rien ne vaudra. ‘‘2°’’ est un de ceux-là.
(Olivier Manchion) / 1998, May - Modena 'Left'
On aborde ‘’2°’’ comme on entre dans une monstrueuse épave dans laquelle on sait que tout peut arriver. Au fur et à mesure de la découverte du bâtiment, on évolue alternativement dans le doute et l’expectative, dans un mélange de d’espoir et d’effroi, craignant de savoir ce qui va se passer. Sûr que l’on va se faire surprendre. L’écho de la guitare de « Sea Room » est un radar qui nous est pointé dessus, et que seuls viennent troubler les roulements de batterie-vague qui viennent s’échouer sur nos pieds. L’ensemble est calme, beaucoup trop calme. Il faut que tout cela explose à un moment, on ne le sait que trop bien. Et c’est exactement ce qui arrive : le voyage se termine dans un vacarme assourdissant, à la basse vrombissante montant des profondeurs. En fait, ça n’est pas si bruyant que cela. Mais c’est ce qu’il semble en tout cas, parce qu’en terme d’inaudibilité, on a déjà fait pire, mais la tension amenée tout au long du titre est telle qu’au moment où arrive l’explosion, on frise l’épilepsie.
On se sent immergé dans un univers dangereux et obscur, un peu comme lorsque l’on rentre dans un livre de Brussolo. On plonge dans les rêves comme David dans « Le syndrome du scaphandrier », on part à la recherche de survivants à une catastrophe dans « Les fœtus d’Acier ». Tout ce stress engendré par une claustrophobie forcée explose dans un « D-Press TV » horrible et insurmontable, immédiatement suivi d’un calme de trois notes lentes et encerclées qui, si l’on s’en réfère à son titre, « Episcope », sont ceux que l’on pourrait entendre d’une bataille à l’intérieur d’un char d’assaut.
Au milieu de tout ça, 6 :35 minutes de« Silence », c’est-à-dire la répétition du même grondement, relancé par une simple phrase musicale, toujours la même, faite de 3 accords de guitare et d’un riff de batterie. Est-ce qu’on s’en lasse ? Pas du tout, on ne les voit pas passer : du génie pur.
Des ces cinq titres, on sort épuisé. Ecoeuré aussi un peu, mal à l’aise. Car là où le talent d’Ulan Bator creuse réellement son sillon, c’est dans sa faculté à jouer avec nos nerfs tout en réussissant à nous faire tenir jusqu'au bout. Le groupe ne se dévoile pas d’entrée, il cache son jeu en instaurant un climat chaud et moite résultant en des bijoux d’inventivité frais par leurs nouveautés et lourds d’une atmosphère suintante. Au passage, il en profite pour marquer son passage d’une pierre blanche, en créant un disque-thème auquel le terme d’ambient atmosphérique va comme un gant. De quoi ne pas regretter de ne pas avoir vécu l’avant.
(2000) Soeur Violence, ULAN BATOR
Pensées Massacre, ULAN BATOR
http://www.ulanbator-archive.com/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ulan_Bator_(groupe)
1 Commentaires. Cliquer ici pour en écrire un !:
Merci mon petit Pierre ! La semaine prochaine mon prochain papier "comment s'immerger dans un unmivers fait de drogues et de domotique-fiction grâce à The Kills" Si ca c'est pas du teaser ...
En attente de ton prochain post, bisous !
Dub
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.